Le LOSC augmente son capital en résorbant sa dette : 3 questions autour d'une opération financière

Le LOSC a annoncé dimanche, par l'intermédiaire de l'Agence France Presse, une augmentation de son capital et "l'abandon complet" de sa dette. Décryptage.

"Le LOSC augmente son capital et résorbe sa dette", a annoncé dimanche soir l'Agence France Presse. "Le capital a été augmenté par le biais d'un abandon complet de la dette du club. Le propriétaire Gerard Lopez a apporté 25 millions d'euros, tandis que le fonds d'investissement américain Elliott a amené 117 millions d'euros", précisait une "source proche du dossier", ajoutant que "la principale conséquence est que le club n'a plus de dettes ni envers Gerard Lopez, ni envers Elliott (fonds d'investissement américain, créancier du LOSC). C'est désormais uniquement le président nordiste qui
doit de l'argent au fonds d'investissement.
"

Cette annonce répond en fait à une exigence posée depuis décembre 2017 par la Direction Nationale de Contrôle de Gestion (DNCG) : reconstituer les capitaux propres.

En clair, jusqu'à présent, les dettes du LOSC étaient supérieures à son actif, c'est-à-dire à la valeur de tout ce que le club possédait comme richesse. Une situation jugée très préoccupante par le "gendarme financier"du football français, au point de l'interdire de recrutement l'hiver dernier et de prononcer sa rétrogradation en Ligue 2, à titre conservatoire. L'été dernier, la DNCG a relâché un peu la laisse, maintenant toutefois un encadrement de la masse salariale des Dogues et de leurs indemnités de transferts.

Cette augmentation de capital annoncée n'a fait pour l'instant l'objet d'aucune communication officielle du club. "C'est un geste fort qui montre que nous croyons dans le projet", a seulement déclaré Gerard Lopez à l'AFP. Nous avons contacté le LOSC pour tenter d'éclaircir certains points. Mais le club a refusé. "Nous ne souhaitons pas donner suite à cette demande", nous a répondu un porte-parole (voir les questions adressées dans l'encadré en bas de l'article). 

Pour autant - même si des zones d'ombre subsistent - nous sommes parvenus à rassembler plusieurs informations qui permettent de comprendre le sens, la portée et les conséquences de cette opération financière.

 

1. Cette opération apporte-t-elle de l'argent frais ?


NON. Il s'agit d'un abandon de créances dont le montant correspond à des sommes déjà perçues par le club mais qu'il n'aura plus désormais à rembourser directement, via des échéances de paiement venant alourdir ses charges (auxquelles s'ajoutaient les versements d'intérêts).  

Gerard Lopez n'injecte pas non plus 25 millions d'euros. Ce chiffre correspond à une dette d'actionnaire, ce qu'on appelle le compte-courant d'associé, que le LOSC n'aura pas non plus à rembourser directement. Lors de sa reprise du LOSC en janvier 2017, l'homme d'affaires hispano-luxembourgeois n'avait pas seulement racheté les actions de SOCLE, l'ancienne holding du club. Il avait aussi repris les comptes-courants dus à Michel Seydoux, l'ex-actionnaire majoritaire. "Je rachète les dettes de M.Seydoux et je deviens créancier du club", nous avait-il alors expliqué. 

Concernant le fonds américain Elliott, l'argent injecté provenait d'emprunts obligataires contractés par Lux Royalty, la maison-mère luxembourgeoise du club. Cet argent emprunté a ensuite été prêté au LOSC, via la société L Holding (voire schéma ci-dessous). Et le LOSC devait à terme rembourser sa "maison-mère" qui devait ensuite rembourser Elliott. 
 
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Les derniers comptes de Lux Royalty publiés au Luxembourg sont ceux arrêtés au 31 décembre 2017. Ils laissaient bien apparaître une dette de 61,89 millions d'euros (argent dus aux créanciers) et des créances quasi-équivalentes d'environ 60,2 millions (argent dus par ses filiales, L Holding et le LOSC).

Depuis, Lux Royalty a émis de nouvelles obligations le 29 mai 2018, avant le passage du LOSC devant la DNCG. A combien s'élève désormais la dette de la "maison-mère" à l'égard d'Elliott ? Aucun document public ne permet de la savoir à ce jour avec précision. D'autant que le club avait annoncé l'été dernier qu'une partie de cette dette - "entre 50 et 60 millions d'euros" - avait été rachetée par la banque américaine JP Morgan Chase.  

 

2. Le LOSC en a-t-il fini avec Elliott ?


PAS TOUT A FAIT. Une source londonienne, impliquée dans le dossier, nous a confirmé ce lundi qu'Elliott avait bien accepté d'abandonner au LOSC l'équivalent de 117 millions d'euros de créances. Au LOSC, mais pas à sa maison-mère, ni à son actionnaire majoritaire, Gerard Lopez, qui, eux devront rembourser.

Elliott est un hedge fund (fonds spéculatif) réputé très dur en affaires, au point d'être qualifié parfois de "fonds vautour". Son job consiste à faire fructifier l'argent que lui confie ses clients, pas à le perdre. Il n'est donc pas du genre à faire de cadeau. S'il a consenti un tel geste, c'est qu'il a obtenu des garanties en échange, mais lesquelles ? Gerard Lopez va-t-il rembourser lui-même une telle somme sur ses propres deniers ?

En fait, un autre scénario semble plutôt se dessiner : qu'Elliott soit remboursé par Lopez et Lux Royalty grâce aux dividendes que leur reversera le LOSC ces prochaines années.

Explications. Le 20 décembre dernier, Reynald Berghe, directeur général adjoint du LOSC, a adressé un courrier au tribunal de commerce de Lille, indiquant le souhait du club de "procéder à l'émission d'actions de préférence, assorties d'avantages particuliers au profit de la société L Holding".  L Holding est la société française, domiciliée comme le LOSC à Camphin-en-Pévèle, qui détient la quasi-totalité des actions du club nordiste. Elle est elle-même la propriété à 100% de Lux Royalty, la "maison-mère" luxembourgeoise.

D'après ce courrier, L Holding, déjà détentrice de la quasi-totalité du LOSC, s'apprête à acquérir de nouvelles actions du club, mais d'un genre particulier :  des actions de préférence - ou ADP - qui donnent droit à "un dividende prioritaire", c'est-à-dire une part prioritaire des bénéfices que pourrait générer le club nordiste. Cette opération doit alors être réalisée "au plus tard le 31 janvier 2019".
 

Dès la réception du courrier du club, le tribunal de commerce de Lille a validé la désignation d'un "commissaire aux avantages particuliers" qui a rendu un rapport le 17 janvier dernier. D'après ce rapport, il est question d'émettre 73 509 nouvelles actions de préférences (ADP) "afin de permettre le développement de la Société".  Ces actions donneront à leur détenteur, L Holding, trois avantages :
  • une priorité sur les dividendes : "les ADP donneront droit (...) à un dividende prioritaire prélevé sur le bénéfice distribuable (...), qui leur sera attribué par préférence aux actions ordinaires et ce jusqu’à un montant cumulé de dividendes prioritaires de deux cent millions (200 000 000) d’euros (le « DPMAX »). Ce dividende prioritaire sera égal, pour la totalité des (...) (73.509) ADP, à 90 % du Bénéfice Distribuable et sera réparti à parts égales entre toutes lesdites ADP.
  • une priorité sur l'actif net de liquidation : "en cas de liquidation de la Société (...) qui viendrait à dégager un produit disponible après (a) extinction du passif, (b) remboursement du capital et (c) paiement des frais de Liquidation (l’« Actif Net de Liquidation »), (...) le montant correspondant à 90 % de l’Actif Net de Liquidation sera versé exclusivement au(x) titulaire(s) des ADP à parts égales dans la limite d’un montant correspondant (i) à deux cent millions (200 000 000) d’euros (ii) moins le montant cumulé versé au titre des dividendes prioritaires."
  • une priorité sur le produit de cession (c'est-à-dire la vente du club) : "en cas de cession (...) de l’intégralité des actions (ADP ou actions ordinaires) détenues par l’actionnaire majoritaire de la Société en capital, (...) le montant correspondant à 90 % du Produit de Cession sera attribué exclusivement aux ADP cédées à parts égales dans la limite d’un montant correspondant (i) à deux cent millions (200.000.000) d’euros (ii) moins le montant cumulé versé au titre des dividendes prioritaires alloués aux ADP cédées."

Il est également indiqué dans le rapport, que ces actions préférentielles "seront automatiquement converties en actions ordinaires lorsque le montant total cumulé des dividendes prioritaires au titre d’un ou plusieurs exercices versés au(x) titulaire(s) des ADP (...) aura atteint une somme de deux cent millions (200 000 000) d’euros". En clair, dès que l'actionnaire titulaire de ces actions aura atteint un total de 200 millions de dividendes versés en cumulé, ces actions cesseront de lui procurer des avantages.

 


On le voit, l'augmentation de capital initiée par le LOSC fin décembre concerne bien le versement des dividendes aux actionnaires, avec des garanties supplémentaires.  

Gerard Lopez se donne donc ainsi les moyens de rembourser Elliott grâce aux dividendes perçus, à condition bien entendu que le club nordiste dégage des marges bénéficiaires suffisamment importantes. Et cela pourrait commencer dès l'été prochain si les Dogues parviennent à vendre à prix d'or deux de leurs pépites particulièrement convoitées : l'attaquant ivoirien Nicolas Pépé et le milieu de terrain brésilien Thiago Mendes. Sans oublier la perspective d'une qualification pour la très lucrative Ligue des Champions qui pourrait accroître de façon significative les recettes du club (droits TV, billetterie, sponsoring...).

En revanche, si le club nordiste ne génère pas suffisamment d'argent dans les saisons à venir, ce sera effectivement à son actionnaire majoritaire, Gerard Lopez, de se débrouiller avec son créancier. En juillet 2018, le redoutable fonds d'investissement américain a déjà pris lui-même le contrôle d'un club de football, le Milan AC, dont le propriétaire chinois n'avait su honorer ses dettes...
 

3. Gerard Lopez reste-t-il pleinement propriétaire ?


OUI. Malgré le montant très important des créances abandonnées par Elliott, le fonds américain ne devient pas actionnaire majoritaire du LOSC, ni d'une de ses maisons-mères. Cela nous a été confirmé par une source londonienne impliquée dans le dossier. 

La participation d'Elliott se limite donc toujours à deux petites actions détenues dans le capital de Lux Royalty, la société-mère luxembourgeoise, soit 0,2% des parts. Le fonds les détient par l'intermédiaire de deux sociétés : Manchester Securities aux Etats-Unis et Zayn Investments aux Iles Caïmans.

Mais ces parts ultra-minoritaires sont assorties de pouvoirs plus importants. Elliott dispose ainsi d'un des trois sièges du conseil de gérance de Lux Royalty, aux côtés de Gerard Lopez et de son associé luxembourgeois Claude Zimmer. Et son représentant dispose d'un droit de véto sur de nombreuses décisions concernant la gestion du LOSC. L'homme d'affaires hispano-luxembourgeois doit donc s'entendre avec son créancier.
 
Ces questions auxquelles le LOSC n'a pas souhaité répondre
Voici la liste des questions que France 3 Hauts-de-France a adressées au club nordiste, sans obtenir de réponse :
 
  1. Le capital social de la SA LOSC Lille étant à ce jour d’environ de 6,9 millions d’euros, est-ce qu’à la suite de cette augmentation de capital il passera à 148,9 millions ?
  2. Le fait qu’Elliott abandonne 117 millions d’euros de créances s’accompagne-t-il d’une entrée plus conséquente du fonds au capital du club ou d’une de ses holdings (L Holding, Lux Royalty, Victory Soccer) ? Au regard de l’importance de cet apport, est-il question qu’Elliott devienne actionnaire majoritaire du LOSC, soit directement, soit indirectement, par l’une de ses holdings ?
  3. Si ce n’est pas le cas, pouvez-vous confirmer que L Holding sera le seul souscripteur des nouvelles actions émises ?
  4. Si c’est la holding (Lux Royalty et/ou L Holding) qui abandonne ainsi ses créances, comment compte-t-elle rembourser Elliott ? Le LOSC sera-t-il contraint de dégager d’importants bénéfices, ces prochaines saisons, pour permettre à son actionnaire de rembourser cette dette ? 
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